segunda-feira, 20 de junho de 2011

VENDREDI OU LA VIE SAUVAGE

"(... ) c'est à propos d'un plat cuisiné que pour la première fois Robinson et Vendredi se disputèrent. Autrefois -avant l'explosion- il ne pouvait pas y avoir de dispute entre eux. Robinson était le maître. Vendredi n'avait qu'à obéir. Robinson pouvait réprimander, ou même battre Vendredi. Maintenant, Vendredi était libre. Il était l'égal de Robinson. Aussi ils pouvaient se fâcher l'un contre l'autre.

(...)

Les deux amis allaient-ils se battre? Non! Vendredi se sauva.

Deux heures plus tard, Robinson le vit revenir en traînant derrière lui sans douceur une sorte de mannequin. La tête était faite dans une noix de coco, les jambes et les bras dans des tiges de bambou. Surtout, il était habillé avec des vieux vêtements de Robinson, comme un épouvantail à oiseaux. Sur la noix de coco, coiffée d'un chapeau de marin, Vendredi avait déssiné le visage de son ami. Il planta le mannequin debout près de Robinson.
- Je te présente Robinson Crusoé, gouverneur de l'île de Speranza, lui dit-il.
Puis il ramassa la coquille sale et vide qui était toujours là et, avec un rougissement, il la brisa sur la noix de coco qui s'écroula au milieu des tubes de bambu brisés. Ensuite Vendredi éclata de rire, et alla embrasser Robinson.

Robinson comprit la leçon de cette étrange comédie. Un jour que Vendredi mangeait des gros vers de palmier vivants roulés dans des oeufs de fourmis, Robinson exaspéré alla sur la plage. Dans le sable mouillé, il sculpta une sorte de statue couchée à plat ventre avec une tête dont les cheveux étaient des algues. On ne voyait pas la figure cachée dans l'un des bras replié, mais le corps brun et nu ressemblait à Vendredi. Robinson avait à peine terminé son oeuvre quand Vendredi vint le rejoindre, la bouche pleine de vers de palmier.
- Je te présente Vendredi, le mangeur de serpents et de vers, lui dit Robinson en lui montrant la statue de sable.
(...)
Dès lors, ils vécurent à quatre sur l'île. Il y avait le vrai Robinson et la poupée Robinson, le vrai Vendredi et la statue de Vendredi, et tout ce que les deux amis auraient pu se faire de mal -les injures, les coups, les colères- ils le faisaient à la copie de l'autre. Entre eux ils n'avaient que des gentillesses.




Pourtant Vendredi trouva moyen d'inventer un autre jeu plus passionant et curieux que celui des deux copies.

(...)

- Sais-tu qui je suis? demanda-t-il à Robinson en déambulant majesteusement devant lui.

- Non.

- Je suis Robinson Crusoé, de la ville de York en Angleterre, le maître du sauvage Vendredi!

- Et moi, alors, qui suis-je? demanda Robinson stupéfait.

- Devine!

Robinson connaissait très bien Vendredi pour ne pas comprendre à demi-mot ce qu'il voulait.

Il se leva et disparut dans la forêt.

Si Vendredi était Robinson, le Robinson d'autre fois, maître de l'esclave Vendredi, il ne restait à Robinson qu'à devenir Vendredi, le Vendredi esclave d'autrefois. (...)

(...)

Ils jouèrent souvent à ce jeu. C'était toujours Vendredi qui en donnait le signal. (...)

Robinson avait compris que ce jeu faisait du bien à Vendredi parce qu'il le guérissait du mauvais souvenir qu'il avait de sa vie d'esclave. Mais à lui aussi Robinson, ce jeu faisait du bien, parce qu'il avait toujours un peu de remords d'avoir été un maître dur pour Vendredi"





Michel Tournier, VENDREDI OU LA VIE SAUVAGE

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RECUSO-ME A SER BARRIGA DE ALUGUER!!!!!!!!!!!!!


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